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À Arcadie nous rêvons depuis longtemps de transporter nos épices sur des voiliers plutôt que des portes-conteneurs propulsés au fioul lourd. Le transport maritime est certainement un des plus écologiques, mais il n’en reste pas moins polluant.


La naissance de l’idée du voilier cargo

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Peut-être trouverez-vous que ce raisonnement est un peu exagéré, mais c’est pourtant celui que j’avais en tête en fin d’été dernier, après une bonne soirée passée en Bretagne chez mon ami marin, quand m’est venue cette idée saugrenue : plutôt que d’attendre que quelqu’un nous propose du transport décarboné depuis Madagascar, pourquoi ne pas acheter notre propre bateau ? Et si Madagascar est trop compliqué dans un premier temps, pourquoi ne pas commencer par la Méditerranée ? Après tout, nous avons aussi beaucoup d’épices et de plantes qui viennent de Turquie, Grèce, Italie, Espagne, souvent par camion, mais ne pourrions-nous envisager de les transporter par bateau ? Mon ami marin m’avait parlé de voiliers de plaisance d’occasion à 200 000 – 300 000€ qu’il imaginait possible de reconvertir pour transporter des marchandises. Arcadie fait maintenant plus de 20 millions de chiffres d’affaires par an, ça devrait être à notre portée. Et même si nous ne pouvions transporter qu’une petite partie de nos besoins sur ce bateau, ce serait déjà un premier pas !


Attendre que l’on nous propose un transport décarboné ou acheter notre propre bateau ?

C’est à ce moment-là que j’ai entendu parler du projet de Grain de Sail, qui était en train de terminer la construction d’un premier cargo à voile pour des transports transatlantique. J’ai aussitôt contacté son président, Jacques Barreau, qui a eu la gentillesse de me partager son expérience et de répondre à toutes mes questions de béotien. Il faut dire que malgré toutes les métaphores marines que vous trouverez sur la page historique de notre site, je n’ai jamais mis les pieds sur un voilier, et j’étais un néophyte total sur le sujet. Cette discussion avec Jacques Barreau a été mon premier pas dans la découverte de ce monde et de son langage. Je commence à apprendre des mots comme “chargeur”, “tirant d’eau”, “vent apparent”…

L’information principale que j’apprends cette fois-ci, c’est que pour une question de réglementation, il n’est pas possible de convertir un voilier de plaisance en voilier de transport. Et comme il n’existe aucun voilier récent qui soit accrédité pour le transport de marchandises, la seule solution est d’en construire un, ce que Grain de Sail a donc fait. Un superbe 24 mètres (la longueur du bateau), capable de transporter 50 tonnes de marchandises, pour environ 2 millions d’euros. C’est beaucoup plus d’argent que ce que j’imaginais au début, mais après tout, ça reste possible. Il doit bien y avoir des banquiers qui sont habitués à accorder des prêts pour des bateaux beaucoup plus chers que ça…

L’autre information que j’apprends ce jour-là, c’est que le coût du transport, ramené au kilo de marchandises, diminue énormément avec la taille du bateau. En gros, le transport sur un bateau 2 fois plus grand coûtera 3 fois moins cher. Grain de Sail est donc déjà en train de travailler sur un bateau de 50 mètres, pour environ 6 millions d’euros et 350 tonnes de capacité.


La question de l’itinéraire

Quelques temps après, grâce à un ami commun, je suis mis en contact avec Nils Joyeux, de Zéphyr et Borée : cette entreprise dont l’objectif est de développer le transport maritime à faible impact carbone vient de commencer la construction d’un premier navire avec des voiles rigides (qui font économiser 30% de carburant), et cherchent justement des chargeurs (On désigne sous le terme de “chargeur” les clients du bateau.

Les entreprises qui vont “charger” leurs marchandises dessus) prêts à partir sur des projets plus ambitieux, avec un objectif de 90% d’économie de carburant. Au cours de nos échanges, nous réalisons rapidement un élément qui change tout : le trajet en voilier depuis Madagascar en passant par le cap de Bonne Espérance et l’Afrique de l’Ouest n’est pas plus long que nos délais actuels ! Pourquoi ? Et bien tout simplement parce qu’il n’existe pas de ligne directe Madagascar-Marseille.

Actuellement, nos conteneurs sont d’abord envoyés en Inde, transbordés sur un autre bateau qui revient ensuite à Marseille en passant par le canal de Suez. Merveilles de la mondialisation… Et cette petite promenade prend au minimum 6 semaines, quand ce n’est pas plus. Or, le trajet en voilier contournant l’Afrique ne prendrait lui que 5 semaines ! Voilà qui change la donne, et qui relance l’hypothèse Madagascar. Si ça ne prend pas plus de temps, et que la taille du bateau permet que le surcoût ne soit pas trop important, rien ne s’oppose à ce que nous transportions à terme l’ensemble de nos épices malgaches (soit 20 % de nos volumes de matières premières) sur des voiliers !

Mais si nous voulons partir sur un voilier de 50 mètres ou plus, il faut trouver des partenaires, d’autres chargeurs qui compléteront le remplissage du bateau. En effet, Arcadie n’importe “que” 200 tonnes par an de Madagascar. Or, un voilier de 50m a une capacité de de 280 tonnes, et peut faire 4 à 5 rotations par an…

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Avec Nils et toute l’équipe de Zéphyr et Borée, le courant passe, et nous décidons rapidement de travailler ensemble sur ce projet. Nous nous mettons en quête de nouveaux partenaires, des bureaux d’études sont mis à contribution pour calculer la meilleure taille du bateau, et on commence déjà à rêver à une mise à l’eau dans 2 ans !


Le prix à payer pour nos clients : quelques centimes de plus par flacon

Ce n’est donc que le début de l’aventure, et nous allons avoir à surmonter beaucoup de difficultés. C’est un projet qui nous enthousiasme, mais le risque d’échec est élevé, car tout est à inventer, et d’autres s’y sont cassés les dents avant nous. Il y a ces dernières années beaucoup d’annonces médiatiques de projets de construction de cargo à voile, mais à ma connaissance, seul Grain de Sail a réussi à aller jusqu’à la réalisation. Nous allons sans doute devoir nous endetter assez lourdement, sans garantie que le bateau soit rentable à terme. Pourtant, il nous semble que le jeu en vaut la chandelle.


Conclusion

Nous aimerions vraiment que les choses changent dans le transport maritime, et si notre expérience peut faire avancer les choses, même si nous ne sommes pas encore certains d’y arriver, cela aura valu le coup de prendre le risque. Et nous faisons le pari que nos clients sont prêts à payer quelques centimes de plus par flacon pour garantir un transport respectueux des hommes et des océans.
Alors, à bientôt pour le prochain épisode !